Après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, le royaume a encore
élargi les champs d’application de la peine capitale.
En dépit de ces signes de mauvais augure, il semble que nous nous
dirigions à court ou moyen terme vers son abolition. La réforme pénale
est à l’ordre du jour et les déclarations officielles émanant du ministère
de la Justice semblent plutôt encourageantes.
Revoltes.org : ...Et plus généralement dans
les pays arabes ?
Yann Barte : C’est simple, on ne compte aucun pays abolitionnistes
parmi les pays arabo-musulmans. On n’y compte pas non plus – c’est
vrai - beaucoup de démocraties! Le Maroc, certainement celui qui est
allé le plus en avant dans cette transition démocratique, pourrait
être cette exception en même temps que le premier pays arabe abolitionniste.
Le frein ne semble pas d’ordre religieux. Il n’y a d’ailleurs aucune
référence religieuse dans le droit positif marocain. Beaucoup de pays
arabes auraient à gagner en terme d’image à abolir définitivement
la peine de mort. Il en est ainsi de la Palestine sur laquelle l’Europe,
premier soutien financier du monde, fait actuellement pression depuis
la reprise des exécutions qui ont suivi la mort de Arafat.
Le Maroc fait aussi partie de cette sphère « Afrique » de plus en
plus sensible aux arguments abolitionnistes. La tendance s’est accéléré
ces dernières années. Depuis 1990, en Afrique, l’Afrique du Sud, le
Mozambique, la Namibie, l'Angola, la Guinée-Bissau, Djibouti, l'Ile
Maurice, la Côte d'Ivoire et dernièrement le Sénégal ont rejoint le
camp abolitionniste. D’autres y songent. Le Maroc ne peut être indifférent
au mouvement abolitionniste planétaire.
Revoltes.org : Existe-t-il des associations abolitionnistes
actives au Maroc et quel est leur travail ?
Yann Barte : Une coalition d’associations s’est constituée
fin 2003. Cette coalition abolitionniste regroupe aujourd’hui sept
ONG parmi lesquelles l’Observatoire Marocain des Prisons, l’AMDH,
l’OMDH, le Forum marocain pour la Vérité et la Justice, le Centre
pour les Droits des Gens (CDG), l’Association des barreaux d’avocats
au Maroc et la section marocaine d’Amnesty International. Le travail
de ces associations va bien au-delà de cette seule question de la
peine capitale, attentives à la situation des droits de l’homme en
général. L’Observatoire des prisons, à l’origine de cette coalition
informe ainsi depuis des années sur la situation carcérale, en contact
permanent avec les détenus et en collaboration avec la Direction générale
des prisons. Ces associations qui ont lancé cette année une campagne
nationale font aussi du lobbying auprès des politiques.
Revoltes.org : Est-il aisé d'obtenir des informations sur ce
sujet auprès des autorités marocaines ?
Yann Barte : Les journalistes travaillant au Maroc le savent
bien : les données statistiques sont extrêmement difficiles à obtenir
au Maroc, et ce, quel que soit le sujet. L’idée perdure que l’information
statistique sera nécessairement utilisée de façon subversive. Un vieux
réflexe archaïque consiste donc à les conserver jalousement… pour
n’en rien faire. Concernant l’univers carcéral, les chiffres existent,
même s’ils ne sont pas totalement à jour. Il est toujours possible
de se les procurer. Depuis quelques années, les prisons se sont ouvertes
et ont gagné en transparence. L’administration pénitentiaire a aussi
souhaité collaborer avec les ONG. On sait ainsi que le Maroc compte
aujourd’hui près de 150 condamnés à mort, hommes et femmes
Revoltes.org : Comment est perçu votre travail ? A-t-on tenté
de vous intimider ?
Yann Barte : Cette initiative est perçue de façon plutôt favorable.
Je n’ai eu à déplorer que quelques réactions marginales décevantes
de confrères journalistes grincheux (pour ne pas dire racistes) qui
se demandaient de quel droit j’osais parler, en tant que simple résident
au Maroc. L’universalité des droits de l’homme est loin d’être une
idée universellement admise !
Je ne fais pas de militantisme politique à proprement parlé, mais
en tant que journaliste, (indépendant de surcroît) j’ai évidemment
des sujets qui me tiennent davantage à cœur. Je les développe si l’occasion
m’en est donnée. Je dois dire qu’avant 2003, le sujet était loin de
passionner les rédactions. « Je ne pense vraiment pas que ce soit
une priorité » me répétait-on partout. Depuis, les choses ont évolué.
Sans être une priorité, le sujet intéresse. Pour ce qui est d’intimidation,
non je n’en ai connue aucune jusqu’à présent. Le Maroc n’est pas la
Tunisie ! On s’y exprime et on y travaille en tant que journaliste
à peu près librement.
Revoltes.org : Comment se positionne l'opinion publique marocaine
? Existe-t-il des sondages impartiaux et précis sur le sujet ?
Yann Barte : Il n’existe à l’heure actuelle aucun sondage sérieux
sur le sujet. La population marocaine est d’ailleurs très rarement
sondée sur des sujets politiques. Les seuls réalisés à ma connaissance
étaient des sondages en ligne, sans valeur scientifique. Ces « sondages
», montraient chaque fois une majorité abolitionniste. Je pense que
l’opinion publique est encore relativement indifférente à cette question
qui ne constitue pas pour elle aujourd’hui un enjeu politique d’importance.
Un débat télévisé sur la 2ème chaîne nationale, la 2M, marque la sortie
de la question de la sphère restreinte des associations droitsdelhommistes.
C’est une première qu’il faut saluer.
Revoltes.org : Comment pourrait évoluer la situation au Maroc
? Que disent les politiques ?
Yann Barte : Les politiques se taisent. D’ailleurs en dehors
du Palais, les partis politiques n’ont généralement souvent pas grand
chose à dire. Ils sont paradoxalement assez inexistants sur la scène
politique. Peu ont pris position jusqu’à présent (à part le PPS, les
Verts et quelques autres). Les islamistes eux-mêmes restent étrangement
silencieux sur le sujet. Il semblerait que sur cette question, comme
sur beaucoup d’autres, les partis attendent simplement le signal royal.
C’est le suivisme qui prime, jamais l’audace politique. Quant au gouvernement,
il semble penser que le sujet n’a pas encore suffisamment mûri. La
société civile marocaine a alors assurément un rôle politique à jouer.
Pour en savoir plus
http://peinedemortaumaroc.over-blog.com
Site Internet conçu par un journaliste établi à Casablanca, uniquement
consacré à la question de la peine de mort au Maroc